Fjord Rouge (Raudfjord) dans le nord du Spitzberg

Voyage Pôle Nord magnétique

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Lundi 04 mai.
Cela fait cinq jours que nous sommes sur la banquise. Après une première étape difficile, nous avons eu une glace de plus en plus praticable.
Nous pensions rencontrer beaucoup de crêtes de compression où l'on aurait eu besoin de déchausser pour escalader des blocs de glace et faire passer les pulkas à la main, mais il n'y en a pas eu. C'est tout juste si une fois, nous avons du monter de deux ou trois mètres par un pont de neige pour franchir la plus grande crête.
Par contre nous avons eu beaucoup de longs passages de très vieille glace : imaginez une houle de deux ou trois mètres de haut, voire cinq à six sur de courts passages, qui se fige instantanément. Pour peu que l'on cherche à les éviter par le côté, on minimise les reliefs à franchir et les pulkas passent très bien.
Les zones broyées se passent de mieux en mieux, la neige est beaucoup mieux damée : elle forme des espèces de pont de neige orientés NNO en travers des crêtes et des champs de compression. De plus, il y souvent des petites surfaces bien planes entre les blocs; vu de loin cela semble difficile à franchir alors que l'on découvre un terrain beaucoup plus praticable au fur et à mesure que l'on avance. Dans certains cas, on arrive à rester à plat sur plusieurs kilomètres alors que de loin, tout paraît très mauvais.
Comme nous avons toujours un temps majoritairement ensoleillé, nous avons pu avancer tous les jours, il y a tout juste de temps en temps un passage nuageux, mais le soleil reste malgré tout visible ou ne disparait pas plus d'une heure. Nous estimons faire de l'ordre de 20 km par jour. Après trois jours, il nous en reste environ 5 pour atteindre le Pôle alors que nous avons encore 11 jours de vivres. Plutôt que d'arriver trop tôt, nous prenons la décision de diminuer le rythme de ski à quatre fois une heure et demi, de façon à terminer dans les délais prévus mais aussi de profiter plus des journées. Jusqu'ici, nous avons surtout cherché à avancer au plus vite sans trop penser à se ménager un peu de bon temps.
Ce soir nous avons un contact radio avec la compagnie aérienne. Trois fois par semaine, nous les appelons. Nous n'avons pas toujours de réponse. Il faut dire que la radio HF, utilisée sur les distances de l'ordre de centaines de km, est assez tributaire de facteurs magnétiques que crée le soleil. Vu la puissance de notre émetteur, il faut des conditions très bonnes pour que la réception soit correcte.
Jusqu'ici, nous avions simplement communiqué notre position et indiqué que tout allait bien. Hier soir, nous avons fait un appel supplémentaire pour commander une bouteille de champagne, celle qui était dans ma pulka n'a pas résisté aux multiples chocs et renversements, elle a explosé alors qu'elle avait bien résisté au gel. Après un certain étonnement, notre correspondant a bien compris ce que nous voulions, il a quand même été plutôt surpris : commander du champagne par la radio, il faut bien être Français pour faire cela !...
Notre correspondant reçoit également notre position ARGOS depuis l'agence GNGL. Nous ne voulons pas la demander tant que l'on n'en a pas besoin. Si au bout de 7 jours, l'île n'apparait pas, on pourra la demander pour savoir où l'on est, mais tant qu'il n'y a rien d'anormal nous préférons ne pas savoir et être capable de déterminer notre position nous-même.
La communication passe bien aujourd'hui. Avant de pouvoir lui dire que l'on n'a pas besoin de notre position, il nous la communique. Je marque sur la carte le point correspondant et tombe à un kilomètre de l'endroit où nous pensons être. On a du mal à comprendre. Et puis d'abord de quand date cette position ? De ce matin ? De ce soir ? En cours de journée ? Je le rappelle à la radio pour qu'il me répète la position et de quand elle date. C'est bien la position d'hier soir à 11H donc du dernier camp. Très bonne nouvelle, nous avons réellement fait en quatre jours ce que nous pensions avoir fait en cinq.
Ce soir c'est fête. Primo, nous sommes juste dans la bonne direction avec moins d'un kilomètre d'erreur et secundo nous avons une journée d'avance. Au rythme où nous allons (maintenant une quinzaine de km par étape), nous sommes à quatre jours du Pôle. Nous arrosons cela avec une double tournée de Calva. Dès demain soir, il va falloir scruter l'horizon pour chercher au Nord-Est l'île King Christian.

Mardi 05 mai
Deuxième pause, il est un peu plus de midi. André regarde l'horizon puis s'écrie : "L'île est là ! Regardez à droite, on voit la côte". Je sors les jumelles, monte sur un bloc de glace et balaie tout le quart Nord-Est. Effectivement, elle est parfaitement reconnaissable, on devait même la voir depuis un moment mais elle est si basse sur l'horizon : on en est encore à 30 km alors que le relief monte tout juste à 150m de haut.
Le soir, l'île est encore plus visible et même le relief est identifiable. A l'aide du sextant et du soleil, j'effectue deux relèvements de l'île et détermine notre position. Nous sommes vraiment très près du but. Ce qui me chagrine est que nous aurions fait près de 45 km en deux jours. Quand nous faisions cinq fois une heure et demi, c'était possible, mais maintenant, nous avons réduit à quatre. 45km en 12 heures de ski, j'ai du mal à le croire mais les instruments ont parlé : il ne nous reste qu'une journée pour être au but. Ce soir c'est encore fête. Nous en profitons pour prendre un sachet journalier de nourriture d'avance pour combler la faim des plus voraces.
On en profite également pour pousser jusqu'au point 77°50N 103°30W au lieu de 103°W. En revenant ensuite sur l'île King Christian, nous passerons par toutes les longitudes entre 103°30 et 102°30W comme cela quelque soit la position estimée, on y passera.
On annonce à la radio qu'il ne nous reste plus que trois ou quatre jours avant d'appeler l'avion. On en profite pour commander le repas du pôle : beurre de cacahuète croquant dit "Crunchy" et tarte aux noix de pacanes. Notre correspondant est encore étonné, des Français qui commandent comme repas de fête des plats typiquement américains !
Je vérifie le positionnement en refaisant deux relèvements le lendemain matin. Cette fois ci, je trouve une position à 15 km au sud de la précédente. Celle-ci est vraisemblable, 30 km en deux jours, là ça colle. En vérifiant le calcul de la veille, je découvre l'erreur : une mauvaise opération dans les calculs.
Nous sommes en réalité à deux jours du Pôle.

Jeudi 07 mai
Depuis hier, nous avons enfin rencontré des zones assez planes pour faire atterrir un avion. Comme on en n'avait pas vu pendant plus de trois jours, on commençait à désespérer d'en trouver près du Pôle. Maintenant nous sommes à nouveau optimistes sur ce plan. La banquise est meilleure par ici que pendant les 5 premiers jours.
A l'horizon quelques gros blocs de glace donnent un bon arrière plan pour les photos. Je m'arrête, laisse passer le groupe en disant : "Avancez de cent mètres, je fais deux trois photos.". Il s'avancent mais les blocs semblent toujours aussi loin. Nous nous rapprochons encore d'au moins autant mais nous ne sommes toujours pas auprès des blocs. Leur dimension nous parait de plus en plus imposante. Nous indiquons à Jean qu'il peut partir devant pour filmer, on voit une échancrure entre les blocs qui paraît praticable. Il y part et a encore au mois 300 m à parcourir avant de pouvoir s'installer sur un de ces blocs. Nous nous rendons compte alors de la dimension réelle de ces morceaux de glace : ils dépassent dix mètres de haut. Nous prenons plus d'une demi heure pour passer la crête de compression en prenant multiples photos et séquences filmées. Heureusement que nous n'avons pas rencontré ce genre de crête dès le premier jour, il y aurait eu de quoi démoraliser plus d'un candidat au Pôle. A moins d'une journée du Pôle et sous un soleil radieux, c'est le contraire qui se passe, nous la passons avec le plaisir de pouvoir ramener quelques images intéressantes de ce que peut être une bonne crête de compression. Nous la baptisons les portes du Pôle Nord Magnétique.
Deuxième pause : comme il est juste midi solaire et qu'il y a un gros bloc de glace à notre hauteur. Je relève la position de l'île. Je reporte notre position sur la carte. Nous allons grosso-modo plein nord alors nous connaissons approximativement notre longitude. Reste la latitude que nous donne le relèvement : 77°49'. Nous sommes à moins de 2 km du Pôle. Nous décidons encore une heure de ski pour en finir. Nous trouvons quelques courtes crêtes de compression comme cadre intéressant pour notre position du Pôle.
A propos de position du pôle, il est intéressant de préciser ce qu'elle est réellement. Il décrit une ellipse journalière de longueur variable entre 25 et près de 100 km centrée sur une position moyenne tout aussi variable. Cette position moyenne a, à notre connaissance, été mesurée pour la dernière fois en 1984, et s'était déplacé de plus de 11 km par an depuis la mesure précédente. C'est en extrapolant la position de 1984 que nous avons obtenu notre position pour 1992. C'est pour cette raison que chacun a sa propre position du pôle et que chaque carte a aussi une position qui diffère des autres.
Le soir, nous pouvons annoncer à la radio que nous sommes au Pôle et que nous comptons prendre deux jours pour rejoindre l'île King Christian. Nous commandons l'avion de retour pour dimanche.
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